- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 26 avril 2015

Après analyse, nous avons trouvé une solution






"Solue senescentem mature sanus equum, ne 
peccet ad extremum ridendus et ilia ducat." 

Quintus Horatius Flaccus, dit Horace,
Épîtres, première épître du premier livre, vers 8 et 9


"Sage, dételle à temps ton vieillissant cheval
Pour qu'il ne fasse rire au bout de sa carrière."

Traduction par la Bibliothèque de la Pléiade


Shayne, bon cheval d'au
moins 51 ans!
















Bonjour à toutes et tous!

La semaine dernière, je vous proposais de nous intéresser à l’étymologie du prénom Hippolyte.
(Hippolyte, si tu me lis…!)
"Si tu nous regardes"










Nous avions découvert que Hippolyte, par le latin Hippolytus, nous venait du grec ancien Ἱππόλυτος, Hippolytos ou Ἱππολύτη, Hippolytê, “Hippolyte”.

Prénom attribué, notamment, à la reine des Amazones, ou à son fils, qu’elle avait eu avec Thésée, et dont Phèdre serait un jour un peu plus que gaga.
(considérant son comportement, Phèdre était clairement plus gaga que Lady)

Nous retrouvons dans Hippolyte Ἵππος, hippos: cheval, dérivé de la racine proto-indo-européenne *ekwo- (sans surprise: cheval), plus que probablement liée à l’adjectif proto-indo-européen *ōḱu-: rapide.

On peut ainsi penser que le cheval, pour nos glorieux ancêtres devait être un … coursier…!

Et donc, vous l’aurez compris, hippodrome ou équitation, ces deux mots proviennent bien d’une seule et même racine proto-indo-européenne.

Trop fort! (ta race)












Mais ça, c’était la semaine dernière.

Cette semaine, ce dimanche, nous nous intéressons à la deuxième partie du prénom Hippolyte, j’ai nommé… lyte!

Ce “lyte” ou plutôt λυτος, lytos / λύτη, lytê, était construit sur le verbe λύω, lúō, auquel s’attachait, d’une façon générale, la notion de “délier”.

On le retrouve ainsi sous des acceptions comme délier, au sens propre comme au sens figuré (délier d’une faute ou d’une erreur: expier, racheter, réparer…), libérer, relâcher, annuler, abroger

λύσιος, Lúsios,qui délivre, le libérateur”, est d’ailleurs une des épithètes de Dionysos,
"λύσιος διονυσος", lúsios Dionysos.
Oui, car Dionysos devait, par l’ivresse, délivrer des soucis, ou alors libérer les instincts, libérer des interdits… (vous choisissez la version qui vous convient)

Dionysos


Si je vous parle ici de Dionysos, ce n’est pas tout à fait innocent
C’est qu’il y a un lien entre lui et ... Thésée!

Car notre Thésée, après avoir vaincu le Minotaure - et avoir pu retrouver son chemin vers la sortie du labyrinthe grâce au fil qu’Ariane lui fourni - vous connaissez l'histoire -, Thésée donc, va abandonner la pauvre Ariane sur l’île de Naxos.
Sympa aussi, je dois dire ; Phèdre et lui étaient vraiment faits l'un pour l'autre.

C’est là, sur l'île de Naxos, que Dionysos, qui passait tranquillement par là, pom pom pom, en tombera raide amoureux! (d'Ariane, on suit, on se concentre)

Et qu’il l’emmènera sur l’Olympe pour la prendre comme une grosse cochonne qu'elle était épouse.

Il en fera sa reine - Aaaaah -, et lui offrira une couronne

Mariage de Dionysos (assis au centre) et d'Ariane (en face de
lui), tenant la couronne nuptiale


A la mort d’Ariane - Eh oui hélas, Ariane était une simple mortelle -, Dionysos va jeter cette couronne tressée de souvenirs dans le ciel pour lui rendre hommage (bah, chacun son truc).

C’est toujours elle que vous voyez briller la nuit, dans l’hémisphère nord, Corona Borealis, la Couronne boréale



Et puis, Ariane est encore, par ailleurs, liée à Thésée et à Hippolyte, dans la mesure où elle est une des soeurs de … Phèdre!

Eh oui, tout se tient, et tout se faisait en famille, dans la mythologie grecque…


Bon alors quoi? λύω, lúō, il a une ascendance proto-indo-européenne?

Eh bien, par miracle, oui!
(par miracle, parce que vous pouvez vous douter que les mots que je présente ici sont FORCEMENT dérivés de racines indo-européennes. Mais dans ce cas précis, où le sujet m’avait été ... suggéré, on pouvait légitimement avoir quelques doutes.)

La racine proto-indo-européenne à l’origine du grec ancien λύω, lúō?

*leu-1

libérer, desserrer, défaire, détacher, détendre, ou carrément diviser, séparer…


Ben les amis, on lui doit pas mal de vocabulaire, à *leu-1.

En français, mais aussi dans quelques autres langues indo-européennes, notamment du groupe germanique

Je ne vais pas, loin de là, m’étendre sur TOUS les dérivés de la racine ; je vous en offrirai plutôt quelques-uns, choisis.


Par une forme allongée *leus-, propre au groupe germanique, *leu-1 nous a donné, via le proto-germanique *lausa-, et ensuite par le vieux norois lauss, louss, l’anglais ... loose, lâcher, libérer, ou en tant qu’adjectif, ample, desserré, mal fixé

Oui bien sûr, on retrouve *lausa- dans les langues scandinaves.

Vous voulez apprendre à écrire danois ou suédois?

Fastoche!

Prenez l’original anglais, ici: loose, supprimez le redoublement de voyelles, et …

- pour obtenir le cognat danois, barrez le o, vous obtiendrez løs.
- pour obtenir le cognat suédois, rajoutez un tréma sur ce même o, vous obtiendrez lös!


Vous connaissez l’anglais “less”, moins, je suppose?
Eh bien, aucun rapport.

(Oui bon, ce less-là, “moins”, provient d’une autre racine, *leis-2, “petit”.)

Mais le less dont je veux vous parler, qui est bien dérivé de *leu-1,
c’est le suffixe -less! 

Qui exprime le manque, l’absence, que l’on pourrait littéralement traduire par “sans”.

Desireless, colourless, homeless, endless, hopeless, useless … … …

Ce suffixe, on le retrouve également …
en scots: -less, 
en frison occidental: -leas, 
en saterlandais: -loos, 
en néerlandais: -loos, 
en allemand: -los, 
en suédois: -lös,
en islandais: -laus.


Un autre dérivé de notre *leu-1 proto-indo-européenne, toujours via le germanique *lausa-? 
Allez, oui!

L’anglais lose, perdre. Ou loss, la perte.

Même origine pour le néerlandais verliezen, perdre, ou l’allemand verlieren, de même sens.

Ou pour ce bel anglais forlorn, délaissé.


Toujours issu du proto-indo-européen *leu-1, et tout tout proche du grec ancien λύω, lúō, il y a … λύσις, lysis, l’action de délier.

Par extension, libération, relâchement, dissolution…

Ben oui. On le connaît bien, ce λύσις, lysis!

Pensez à tous ces mots en -lyse, du vocabulaire scientifique (chimique, médical...):
biolyse, cytolyse, électrolyse, hydrolyse, hématolyse… évoquant la notion de dissolution, de décomposition.

Il y a aussi paralysie, hélas, du composé grec παραλύω, paralúō.

Sans oublier tous ces adjectifs du vocabulaire chimique, biologique ou médical, 
en -lytique:
électrolytique, kératolytique, cytolytique…


Catalyse?
Oui!

En chimie, la catalyse est l’action de certains corps qui, par leur seule présence, en modifient d’autres sans être eux-mêmes modifiés.
Ce qui est quand même fort cool.

Catalyse nous vient du grec ancien κατάλυσις, katalysis,
composé de κατά, kataen-dessous ») et de λύσις, lýsisaction de délier », on est d'accord?).

avec ou sans catalyse...


Analyse?
Bingo!

Du grec ancien ἀνάλυσις, analysis, de ἁναλύω, analuôdélier », ok??), composé de ἀνά, anaen haut »), et de λύω, lúō, évidemment.

Curieuse étymologie?
A l’origine, l’analyse, c’est la résolution d’un tout en ses parties: on commence par le haut, on examine et on décompose, on dissèque

Analyse médicale


Lyophilisation?
Yesss!

lyophile étant créé sur lúô et -phile: littéralement qui aime dissoudre!
En chimie, un produit lyophile présente une affinité avec un solvant donné.

Mais non, pas Liophile, lyophile!


Enfin, notre racine *leu-1 se retrouve en latin!!

Vous allez vite la reconnaître, si je vous dis qu’elle s'y dérivera via une forme préfixée *se-lu-
(Oui, le préfixe *se- marquait la séparation).

Nous la retrouvons, notre racine, dans le latin… … … solvō, solvere!!
Désagréger, dénouer, délivrer, séparer, détendre, acquitter une dette … 

On y retrouve en fait à peu près tous les sens du grec λύω, lúō.

Et ici, ébahis, vous prenez conscience de l'ampleur de chine la liste des dérivés de notre racine!!!

Solution, absolution, résolution, résoudre, dissoudre, solvant ou dissolvant, soluble (ou insoluble), (in-)solvabilité...

solution au relâchement scolaire



D I N G U E !!



Bon, et alors, finalement, Hippolyte ça veut dire QUOI alors?

Eh bien, cela pourrait signifier "celui qui détache ou libère les chevaux", ou qui les délie, les débourre (oh, rien de salace, comprenez "celui qui pratique le débourrage", qui amène le cheval à accepter une selle, puis un cavalier…).


Tiens, ça me fait penser à cette triste expérience....

Il y a quelques années, La Vache Qui Rit avait lancé un petit concours: celui qui trouverait la meilleure raison pour laquelle La Vache qui Rit rit remporterait un prix.

J’y ai joué, moi, à ce concours.

Ma version?

"La Vache Qui Rit rit parce que le fermier laboure."

Eh bien, figurez-vous que je n’ai reçu AUCUN prix, ni même AUCUNE réponse de La Vache Qui Rit. 

RIEN.
Lamentable.

Depuis lors, je n’ai plus JAMAIS mangé de La Vache Qui Rit.

Et pourtant, elle était si belle, cette douce vision, le bon vieux fermier, serein à la fin de l’automne, qui labourait son champ, et la bonne vache qui le regardait en souriant, en se disant que tout allait bien en ce bas-monde...

Le vieux fermier et son vieux cheval de trait, prêt à labourer...
(source)


Plus JAMAIS je ne mangerai de Vache Qui Rit.





Je me calme.


Pour en revenir à la signification de Hippolyte en grec:

Comme nous venons de le voir, le latin solvō est le calque étymologique et sémantique presque parfait du grec λύω, lúō.

Et en latin, equum solvere (du moins si l’on se fie à Horace, dans ses Épîtres, 1, 1, 8), c’est…

... Dételer un cheval…
Vous l'avez constaté: cet equum solvere latin d'Horace est une superbe transposition du grec ancien Hippo-lytos, hein?
- Mmmmh?
- Mais oui, là, dans l'extrait de cette épître d'Horace, en exergue, enfin quoi!
Vous pensez vraiment que je l'avais mis "comme ça", pour rien??

Dans ce cas - et ce sera mon petit apport personnel -, Hippolyte pourrait être à l'origine "celui..."
- ou "celle...", car la définition s'appliquerait assez bien à Hippolytê, la Reine des Amazones
"...qui dételle son cheval".

Soit parce qu'il ou elle a assez travaillé, ou a terminé sa dure journée de labeur, bien sûr,
conformément à la métaphore qu'Horace nous offre dans ces vers en exergue, où dételer son cheval se conçoit comme se retirer de la vie active, 
soit parce qu'il - ou ELLE! - monte à cru (sans selle, et donc aussi sans étriers), et même sans mors…: sans aucun attelage, bride ni harnachement...!

Perso, je ne serais pas surpris d'apprendre que la Reine des Amazones montait de cette façon...

à cru, et sans mors...

Ah, pourquoi pas?!

Hippolyte - le fils de mes bons amis - se fera-t-il peut-être remarquer plus tard par sa conduite très nature, ou par son imagination... débridée?




Et là-dessus,
je vous souhaite un excellent dimanche, et une trrrrès bonne semaine!



A dimanche prochain!


Frédéric

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