- Paraît chaque dimanche à 8 heures tapantes, méridien de Paris -

dimanche 28 septembre 2014

La confiture, ça dégouline.





Une bonne femme parlant toujours de son jardin, de ses confitures, de ses tricots, de ses éternels tricots pour les pauvres. C'est drôle comme les pauvres ont éternellement besoin de tricots. On dirait qu'ils n'ont besoin que de tricots.

Jean Anouilh, in Antigone (1942)


Antigone, le début de la pièce dans sa première mise en scène
au théâtre de l'Atelier, en pleine occupation...

















Bonjour à toutes et tous!



… Et on continue!!

Eh oui, c’est toujours la racine proto-indo-européenne *dhē- (“mettre, placer, mettre en place, poser…”) qui occupe nos pensées.

Remarquable petite racine à qui, vous l’avez déjà constaté, nous devons tant de mots.
Et pas qu’en français, en plus.

Je ne vais évidemment pas refaire les deux articles précédents, tous deux dédiés à cette fameuse racine, mais sachez qu’ils se trouvent ici:



Et là-d’ssus, ben, on continue.


Sur une forme de *dhē- préfixée en *kom-
(oui, ce *kom- qui évoque l’idée d’ensemble, qui va donner le cum latin)
basée sur la forme au timbre zéro (= sans voyelle-pivot, pour ceux qui prennent le train en marche) *dhə-,
autrement dit sur une forme *kom-dhə-
s’est bâti le latin condō, condĕre: mettre ensemble, établir, ou même “mettre de côté”, et par extension mettre en réserve, ensevelir, cacher.


*kom-dhə- bituuuuuuuuuu de


Ab Urbe condita signifie ainsi “à partir de la fondation de la ville”.
Laquelle, de ville? Mais grands dieux, Rome bien entendu!

Selon Tite-Live (pour les plus jeunes d'entre vous, ça se prononce "tit-liv", pas "taïte laïve"), la fondation de Rome date du 21 avril 753 avant J.-C.

Et les historiens modernes font semblant de le croire.

Donc, nous sommes, Ab Urbe condita, en ... [2014+753=] ... 2767.

En latin? MMDCCLXVII AUC!


« She-wolf suckles Romulus and Remus » par Benutzer



Ce sens de “cacher”, nous le retrouvons dans le latin abscondo, ou le préfixe abs- marque l’idée d’éloignement.
C’est sur cet abscondo que l’espagnol a créé esconder: cacher.

Ou que le français a créé abscondre!
Oui, je l’avoue, le verbe est désuet, mais il signifie toujours bien … cacher.

Nous en utilisons toujours une forme adjectivale:

abscons.

Abscons? Obscur, inintelligible
Mais à l’origine: caché, mystérieux.
D’où incompréhensible, puis complexe au point de n’avoir plus aucun sens

Abscons est en fait basé sur le participe passé de abscondo: absconsus (il en a de la chance, Abs), ce qui nous permet de comprendre la présence de ce s final … euh … abscons.

Message d'erreur abscons



Mais poursuivons…

Toujours à partir de la forme au timbre zéro de notre *dhē-: *dhə-,
toujours préfixée en *kom-,
 mais cette fois - c'est énorme! - suffixée en *-yo- pour donner le sublime composé ...

*kom-dh(ə)-yo-, 

le latin a créé condiō, condīre. 

Il s’agit d’une forme collatérale de condō (« établir, conserver »).
Qui signifiait plutôt préserver, conserver, puis, par extension, assaisonner!
Probablement parce que pour conserver les aliments, on les assaisonnait, on les salait.

Et - vous voyez où je veux en venir - sur condiō le français a créé ce mot pour …

... ce que le Larousse décrit comme Substance (sel) ou préparation (moutarde, pickles) ajoutée aux aliments cuits ou crus pour en relever la saveur: le ...

condiment!


condiments



Et ce n’est pas fini: sur un verbe étymologiquement très proche de condiō: cōnficiōpréparer” (“faire avec”: < con-faciō), nous avons aussi créé…

confire!

Confiture, confisage, confiseur, confit, confiserie…!
Eh oui, tout ça, c'est encore des dérivés de cette formidable *dhē-!



Confiture

(Et vous aurez évidemment reconnu un extrait des paroles de La confiture des Frères Jacques comme titre du présent article)




Une petite devinette?

Je vous demande de trouver un mot masculin, familier, qui désigne une conversation, un discours, ou un écrit, où sont mêlées confusément toutes sortes de choses disparates.

Non, ça ne commence pas par un b.

Mais par un s


Un mot de quatre syllabes...

Qui sonne un peu arabisant, ou hispanisant...


Vous avez trouvé?

Mais allez!! Cherchez!

...


...


...


il commence par sal...

...


...


...


Un ... salmigondis!

A l’origine, un ragoût de diverses sortes de viandes réchauffées.

Eh bien, le curieux (ou abscons évidemment) salmigondis, mot du XVIème, serait un composé évoquant le sel (sal-) et l’assaisonnement (oui, on y retrouve condīre derrière gondis).

Et on explique la présence de ce mi là juste au milieu par le fait que le mot se serait enchevêtré avec salemine, un vieux mot pour un plat de poissons.


A présent, parlons d’une forme dupliquée de *dhē-: *dhi-dhə-.

*dhi-dhə-


C’est cette double construction qui est à la base du grec ancien θἐσις, thésisaction de poser, de placer, établissement, position»).

Et bien entendu, θἐσις, thésis - en passant toutefois par le latin thesis - est devenu notre thèse, “proposition qu’on avance avec l’intention de la défendre si elle est attaquée.

Oui, donc, forcément, nous en avons également dérivé prothèse, parenthèse, métathèse, synthèse… Ou même épithète

Ca en devient lassant.


Oh allez, soyons fou: sur une forme au timbre zéro de notre racine, mais ici suffixée en *-mn̥-:


*dhə-mn̥-

s’est construit le grec ancien θέμα, théma, issu de τίθημι, tithemi (« placer »).

θέμα, théma donnera le latin thema, qui à son tour donnera le vieux français tesme.
Bien sûr, en français moderne, tesme deviendra thème!


Pffff…
Bluffante, non, cette racine!?


En vieux slavon d’église - c’est pour toi Jean! -, *dhē- s’est dérivée en děti: mettre, placer, déposer.
Dělo, c’était le travail, l’action, l’acte

C’est ainsi qu’en tchèque moderne, nous retrouvons ději, děju pour “faire”, ou qu’en russe, faire se dit делать/cделать (“diélatj”, “sdiélatj”).



Oui, alors il y encore दधाति dadhāti en sanskrit: placer

En vieux persan, on trouve encore adadā: posé, placé.
(il n'est pas précisé s’il s’agissait d’être posé, placé sur le cheval de bon-papa)


Et pour finir en beauté, je vous dirai que *dhē- est devenue tes-, tās-, täs-, tätt- (placer, déposer…) en tocharien B, et tā(s)-, täs-, tas- (de même sens) en tocharien A…




Ouuuuuuufff!

Vous en rendez-vous compte!?

Elle est vraiment incroyable, cette petite *dhē-

Et, à mon avis, on va la retrouver encore, plus tard, associée à d’autres racines…




Je vous souhaite à toutes et tous un excellent dimanche, une très belle semaine, et espère vous retrouver dimanche prochain!




Frédéric


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